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7 octobre 2012

Chávez, Poutine et la démocratie

Filed under: Non classé — reporters @ 16 h 00 min

• Au-delà du calendrier, on peut mettre en parallèle les régimes politiques qu’incarnent les deux hommes. Ce qu’a fait le politologue bulgare Ivan Krastev dans un article d’avril 2006.

Le populisme de Chávez et la “démocratie dirigée” chère à Poutine se fondent tous deux sur la même conception de la politique moderne, vue comme un affrontement entre le “pouvoir populaire” et le pouvoir manipulateur des élites. Ayant compris qu’il pouvait concentrer plus facilement les pouvoirs dans un contexte d’opposition véhémente qu’en muselant ses opposants, Chávez a remodelé l’autoritarisme pour le mettre à l’heure de la démocratie. Sa stratégie consiste à attaquer les partis politiques, à polariser la société, à redistribuer les richesses sélectivement, à encourager le déclin de la bureaucratie, à favoriser les dysfonctionnements de l’Etat et à changer sans cesse les règles du jeu. Chávez pratique la démocratie comme un régime de chaos contrôlé. De plus, en jouant la carte de la confrontation avec l’hyperpuissance américaine, il acquiert une légitimité tant sur le plan intérieur qu’à l’échelle internationale.
En Russie, les élites empêchent toute véritable représentation de la majorité en colère, qui se considère comme la grande perdante de la transition postcommuniste. Ces élites se servent des éléments institutionnels de la démocratie, comme les partis politiques, les élections et divers médias, à seule fin d’aider ceux qui sont au pouvoir à y rester. Des élections sont organisées régulièrement, mais elles n’assurent aucune alternance, elles ne font que légitimer le pouvoir en place. La Russie n’a pas de parti hégémonique traditionnel, comme naguère le Mexique avec le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), pour diriger sa démocratie. Au lieu de cela, le secret du système est la création d’une réalité politique parallèle. Le projet russe de “démocratie sans représentation” cadre parfaitement avec ce que la propagande communiste appelait la “démocratie de façade”. L’objectif est “non seulement d’établir un monopole du pouvoir, mais aussi de monopoliser la compétition permettant d’y accéder”, a écrit Martin Wolf dans le Financial Times.
La stratégie de Chávez est d’encourager au maximum la confrontation et la mobilisation politique ; celle du Kremlin est d’encourager au maximum la confusion et la démobilisation politique. Ces systèmes – que j’ai baptisés les “doubles de la démocratie” – se présentent non pas comme des alternatives à la démocratie, mais comme l’incarnation de la vraie démocratie. Tant Chávez que Poutine sont passés maîtres dans l’art d’employer la rhétorique démocratique
pour atteindre leurs objectifs politiques ; l’un comme l’autre, ils jouissent d’une grande popularité dans les sondages, ainsi que d’un soutien ­considérable en dehors de leur pays. Les deux hommes s’emploient à exporter leur modèle de “démocratie” ; chacun d’entre eux dépense des millions de pétrodollars, sous couvert d’assistance à des “démocrates” ayant la même vision des ­choses, pour promouvoir leurs ambitions régionales. Ils exploitent habilement l’antiaméricanisme dans le monde. Ils sont tous deux à la tête d’un régime qui par certains traits ressemble à la démocratie, mais dans les deux cas la réalité est celle d’un quasi-monopole du pouvoir.
Pour l’essentiel, ceux qui analysent les ­régimes vénézuélien et russe se bornent à étudier les politiques et les personnalités de leurs leaders, Chávez et Poutine. Mais, si une telle analyse se justifie partiellement en ce qui concerne le Venezuela, elle ne s’applique pas du tout au cas de la Russie. La démocratie dirigée en tant que projet et pratique politique n’a pas commencé avec Poutine, elle était déjà en place sous le deuxième mandat de Boris Eltsine (1996-2000). Poutine n’est pas l’inventeur de la démocratie dirigée en Russie, même s’il en a été le principal bénéficiaire. Pour comprendre le système politique russe aujourd’hui, on peut faire abstraction des antécédents de Poutine ou de sa popularité, voire de l’ascension de ses collègues siloviki (des responsables qui ont commencé leurs carrières dans le vieil appareil coercitif soviétique). En revanche, il faut se pencher sur ces grands maîtres de la manipulation que sont les “technologues politiques” [polit tekhnologui]. De même que le régime soviétique était indissociable de l’idéologie communiste, la démocratie dirigée d’aujourd’hui ne serait pas ce qu’elle est sans les technologues politiques et leur vision de la démocratie et de la politique.

journal of democracy

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