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7 octobre 2012

L’eau potable plus chère que la bière

Filed under: Non classé — reporters @ 16 h 12 min

• A Mbuji-Mayi, ville de trois millions d’habitants au centre du pays, l’eau potable est une denrée rare. La bouteille de bière est moins chère que celle d’eau potable. Comble du paradoxe, nous sommes dans une région riche en sources.

Desisn de Tiounine, Russie.Desisn de Tiounine, Russie.

A Mbuji-Mayi [capitale du Kasaï-Oriental], une bouteille d’un litre et demi d’eau coûte 3 500 FC (francs congolais, soit 3 euros), plus cher que deux bières de 73 cl à 1 500 FC l’une (0,76 euro). Pour certains adeptes de cette boisson alcoolisée, le choix est vite fait, quoi qu’il en coûte à leur santé. Autant boire de la bière. Mais pour la grande majorité de la population, la situation est dramatique. En effet, seules les nantis peuvent se permettre d’acheter des bouteilles d’eau fabriquées localement pour assouvir leur soif. Beaucoup d’autres ne le peuvent pas alors que l’eau est une denrée rare dans cette ville de plus de 3 millions d’habitants, où plusieurs communes ne sont plus desservies par le réseau public depuis 2010.

Faute de trouver l’eau au robinet, les habitants sont obligés d’effectuer de 3 à 5 km pour acheter de l’eau dans des lieux publics. Pour 20 litres d’eau – impropre à la consommation –, le prix varie entre 200 et 500 FC [entre 0,16 et 0,41 euro]. Ceux qui en ont les moyens se font livrer l’eau pour le ménage et la toilette, et recourent aux vendeurs ambulants qui proposent les 20 litres pour 700 à 1 200 FC [0,58 à 1 euro].

« Je suis très déçu de voir que le Kasaï-Oriental, pourtant entouré de cours d’eau parfois potable, est la seule province où l’eau est si chère », regrette un habitant de la ville. La Regideso, une entreprise publique qui a le monopole de la distribution d’eau dans la ville, ne dessert que 16 % des habitations du fait de la vétusté du réseau et du manque d’électricité. Mais quand bien même tous les robinets de la ville seraient fonctionnels, la production serait insuffisante pour fournir la quantité d’eau nécessaire, soit 20 litres par personne et par jour. « L’entreprise manque de moyens pour développer une politique de distribution d’eau satisfaisante. Et, faute d’électricité, nous ne pouvons capter suffisamment d’eau. Voilà pourquoi la population souffre », souligne un agent de la société qui a requis l’anonymat.

Comme souvent en République démocratique du Congo (RDC), l’eau la plus chère est celle qui est mise en bouteille localement. Les bouteilles importées sont un peu moins coûteuses, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Rien n’est fait pour aider les habitants. « Nous nous heurtons à plusieurs difficultés. L’électricité est plus chère qu’ailleurs, nous importons les emballages, les taxes et les impôts sont très élevés », raconte un agent de Safi, une société locale d’embouteillage. L’eau est ainsi paradoxalement la boisson la plus chère.

Compte tenu de la situation, certains n’hésitent pas : « Je préfère boire de la bière plutôt que de l’eau, souvent introuvable, surtout quand je prends mon repas. Un régime qui n’a aucun effet sur mon organisme », estime Stéphane Mongo [un habitant de Mbuji-Mayi].

Et il n’est pas le seul à choisir la bière. Le prix est la bonne excuse, mais cela n’est pas sans risque pour la santé. Ces adeptes des bouteilles brunes renforcent ainsi leur penchant pour l’alcool et ils risquent d’avoir du mal à s’en débarrasser. Sans compter les comportements parfois violents de ceux qui en abusent pour étancher leur soif. « Je n’encourage pas les amoureux de la bière, et je demande à l’entreprise de distribution d’eau d’augmenter sa production pour mieux desservir la ville, s’agace un médecin de la ville. C’est une question de santé publique. »

Vu d’Inde, les enfants britanniques ont faim

Filed under: Non classé — reporters @ 16 h 09 min

• Un journaliste indien s’étonne que les enfants du Royaume-Uni souffrent de plus en plus de la pauvrété, et que le gouvernement ne fasse rien pour y remédier.

Alors que le Royaume-Uni se flatte d’être la septième puissance économique mondiale et d’envoyer des milliards d’euros d’aide à d’autres pays, dont l’Inde, certains s’interrogent: que fait-on pour lutter contre la pauvreté au Royaume-Uni, où un nombre croissant de personnes souffrent de la faim, du chômage et de l’absence de logements ?

Signe de la gravité de la situation après quatre dures années de récession, l’ONG Save the Children – réputée pour son travail en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud – lance pour la première fois un appel national pour venir en aide aux pauvres du Royaume-Uni, qui se voient infliger une sorte de double peine avec une récession économique doublée d’un plan de rigueur gouvernemental très controversé.

Le rapport de l'ONG Save the ChildrenDans cette campagne, signée du slogan « It shouldn’t happen here » [cela ne devrait pas arriver ici], l’ONG révèle que le Royaume-Uni abrite près de 3,5 millions d’enfants pauvres, dont 1,6 million vivraient dans une extrême pauvreté.

« Il est inacceptable de voir qu’en 2012, des familles vivant au Royaume-Uni doivent se priver de biens essentiels, notamment alimentaires, ou se retrouver criblées de dettes uniquement pour subvenir à leurs besoins quotidiens », déclare l’organisation humanitaire en soulignant que les enfants les plus pauvres sont les premières victimes de la récession économique.

Le responsable exécutif de Save the Children, Justin Forsyth, indique que la pauvreté a progressé depuis l’élection du gouvernement conservateur qu’il incite à faire davantage pour épargner de nouvelles restrictions budgétaires aux catégories « les plus pauvres et les plus défavorisées ». L’ONG, dont les campagnes mettent plus souvent en scène des enfants africains affamés, a cette fois choisi l’image d’une petite fille blanche en larmes, avec comme bandeau: « aujourd’hui au Royaume-Uni, 1,6 million d’enfants vivent dans une extrême pauvreté », suivi du slogan: « Cela ne devrait pas arriver ici ».

C’est pourtant bien ce qui arrive. Et la situation ne devrait qu’empirer dans les années à venir. Pendant ce temps, le gouvernement dépense des millions d’euros pour une somptueuse campagne d’affichage visant à redonner sens au « grand » de « Grande Bretagne »

Chávez, Poutine et la démocratie

Filed under: Non classé — reporters @ 16 h 00 min

• Au-delà du calendrier, on peut mettre en parallèle les régimes politiques qu’incarnent les deux hommes. Ce qu’a fait le politologue bulgare Ivan Krastev dans un article d’avril 2006.

Le populisme de Chávez et la “démocratie dirigée” chère à Poutine se fondent tous deux sur la même conception de la politique moderne, vue comme un affrontement entre le “pouvoir populaire” et le pouvoir manipulateur des élites. Ayant compris qu’il pouvait concentrer plus facilement les pouvoirs dans un contexte d’opposition véhémente qu’en muselant ses opposants, Chávez a remodelé l’autoritarisme pour le mettre à l’heure de la démocratie. Sa stratégie consiste à attaquer les partis politiques, à polariser la société, à redistribuer les richesses sélectivement, à encourager le déclin de la bureaucratie, à favoriser les dysfonctionnements de l’Etat et à changer sans cesse les règles du jeu. Chávez pratique la démocratie comme un régime de chaos contrôlé. De plus, en jouant la carte de la confrontation avec l’hyperpuissance américaine, il acquiert une légitimité tant sur le plan intérieur qu’à l’échelle internationale.
En Russie, les élites empêchent toute véritable représentation de la majorité en colère, qui se considère comme la grande perdante de la transition postcommuniste. Ces élites se servent des éléments institutionnels de la démocratie, comme les partis politiques, les élections et divers médias, à seule fin d’aider ceux qui sont au pouvoir à y rester. Des élections sont organisées régulièrement, mais elles n’assurent aucune alternance, elles ne font que légitimer le pouvoir en place. La Russie n’a pas de parti hégémonique traditionnel, comme naguère le Mexique avec le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), pour diriger sa démocratie. Au lieu de cela, le secret du système est la création d’une réalité politique parallèle. Le projet russe de “démocratie sans représentation” cadre parfaitement avec ce que la propagande communiste appelait la “démocratie de façade”. L’objectif est “non seulement d’établir un monopole du pouvoir, mais aussi de monopoliser la compétition permettant d’y accéder”, a écrit Martin Wolf dans le Financial Times.
La stratégie de Chávez est d’encourager au maximum la confrontation et la mobilisation politique ; celle du Kremlin est d’encourager au maximum la confusion et la démobilisation politique. Ces systèmes – que j’ai baptisés les “doubles de la démocratie” – se présentent non pas comme des alternatives à la démocratie, mais comme l’incarnation de la vraie démocratie. Tant Chávez que Poutine sont passés maîtres dans l’art d’employer la rhétorique démocratique
pour atteindre leurs objectifs politiques ; l’un comme l’autre, ils jouissent d’une grande popularité dans les sondages, ainsi que d’un soutien ­considérable en dehors de leur pays. Les deux hommes s’emploient à exporter leur modèle de “démocratie” ; chacun d’entre eux dépense des millions de pétrodollars, sous couvert d’assistance à des “démocrates” ayant la même vision des ­choses, pour promouvoir leurs ambitions régionales. Ils exploitent habilement l’antiaméricanisme dans le monde. Ils sont tous deux à la tête d’un régime qui par certains traits ressemble à la démocratie, mais dans les deux cas la réalité est celle d’un quasi-monopole du pouvoir.
Pour l’essentiel, ceux qui analysent les ­régimes vénézuélien et russe se bornent à étudier les politiques et les personnalités de leurs leaders, Chávez et Poutine. Mais, si une telle analyse se justifie partiellement en ce qui concerne le Venezuela, elle ne s’applique pas du tout au cas de la Russie. La démocratie dirigée en tant que projet et pratique politique n’a pas commencé avec Poutine, elle était déjà en place sous le deuxième mandat de Boris Eltsine (1996-2000). Poutine n’est pas l’inventeur de la démocratie dirigée en Russie, même s’il en a été le principal bénéficiaire. Pour comprendre le système politique russe aujourd’hui, on peut faire abstraction des antécédents de Poutine ou de sa popularité, voire de l’ascension de ses collègues siloviki (des responsables qui ont commencé leurs carrières dans le vieil appareil coercitif soviétique). En revanche, il faut se pencher sur ces grands maîtres de la manipulation que sont les “technologues politiques” [polit tekhnologui]. De même que le régime soviétique était indissociable de l’idéologie communiste, la démocratie dirigée d’aujourd’hui ne serait pas ce qu’elle est sans les technologues politiques et leur vision de la démocratie et de la politique.

journal of democracy

Pour un changement “à l’algérienne”

Filed under: Non classé — reporters @ 15 h 44 min

L’Algérie fête le cinquantenaire de son Indépendance dans un climat qui paraît marqué par l’immobilisme. Les législatives de mai dernier ont consacré le statu quo. Le nouveau gouvernement ressemble (trop) au précédent. Les réformes politiques annoncées s’enlisent. Maisen réalité, la situation politique est bien moins figée qu’elle n’y paraît. D’abord, le résultat des législatives et la nomination du nouveau gouvernement relèvent plus de l’épiphénomène. L’impact de ces évènements est à relativiser, au vu de la faible influence du Parlement et du gouvernement quant au changement global attendu, la réalité du pouvoir se jouant ailleurs. Même constat pour les prochaines municipales de novembre.
Le scrutin décisif de l’Algérie post-printemps arabe sera davantage celui de la présidentielle de 2014, moment de vérité dans un pays marqué par le mythe de l’homme fort et où le président de la République concentre l’essentiel des pouvoirs.

Un contexte favorable
Ensuite et surtout, la période n’a en fait jamais été aussi propice au changement.
Le cinquantenaire de l’Indépendance favorise la réflexion, le questionnement et la prospective (livres, forums…). L’usure physique de la génération qui a libéré l’Algérie, au pouvoir depuis 1962 et désormais septuagénaire, crée mécaniquement un appel d’air (“tab djnanou” !). L’état de santé du Président inquiète et nourrit les plus folles rumeurs. L’incertitude règne quant au successeur que désignera le “système” pour 2014. Des crises secouent les partis existants. Les coupures intempestives d’électricité et d’eau exaspèrent les citoyens.
Dans le même temps, de nouveaux partis et syndicats émergent. L’Algérie se dote du Parlement le plus féminisé du monde arabe. La plupart des diplômés du supérieur sont désormais des femmes, qui n’ont jamais été aussi nombreuses sur le marché du travail. Les révoltes sociales se poursuivent malgré le déversement des pétrodinars. L’épuisement programmé de la rente des hydrocarbures rend urgent la diversification de l’économie à laquelle œuvrent de plus en plus d’entrepreneurs. Les jeunes Algériens s’emparent des réseaux sociaux. La large diaspora algérienne se mobilise davantage et commence même à rentrer(1). Bref, entre une ambiance “fin de règne” et des signes tangibles de renouveau, la possibilité du changement est plus que jamais d’actualité. Mais pas n’importe quel changement.

Changer l’Algérie sans la casser
Pas celui fantasmé par des médias occidentaux obsédés par les “printemps” et le romantisme révolutionnaire. L’Algérie a assez donné en la matière : révolution de la Libération, Printemps berbère de 1980, printemps d’Octobre 88, etc. L’Algérie a aujourd’hui besoin d’évolutions profondes et rapides, mais pas de révolution. Plus que tout autre pays de la région, ce pays connaît en effet le prix de la rupture et de la violence
(200  000 morts de la décennie noire) : les Algériens ne replongeront pas de sitôt dans la spirale incontrôlable de l’instabilité et de la haine.
Le changement, indispensable, doit s’inscrire dans cette perspective, c’est-à-dire parvenir à concilier deux attentes différentes, d’apparence contradictoire. D’une part, un désir évident de démocratie et de justice, pour en finir avec les dérives d’un pouvoir oligarchique et déconnecté des citoyens. Nul besoin ici de détailler la soif d’État de droit, d’une éradication de la corruption, d’un renouvellement des élites ou d’un authentique pluralisme politique. Ni celle d’un meilleur partage des richesses, d’un climat des affaires favorable, d’une véritable égalité entre hommes et femmes ou d’une éducation digne de ce nom. Et d’autre part, un souhait tout aussi fort d’unité et de dépassement des clivages classiques (Arabes/Berbères, urbains/ruraux, modernes/traditionalistes…), de respect de l’histoire de l’Algérie, de l’héritage de sa révolution, de son ancrage musulman(2). Bref, d’apaisement et de rassemblement. En résumé, il s’agit de réussir à “changer l’Algérie sans la casser” : si l’Algérie ne peut continuer comme avant, elle ne veut pas pour autant faire table rase de l’existant. Pour le moment, aucune des forces politiques en présence n’arrive à concilier ces deux aspirations, privilégiant souvent l’une au détriment de l’autre, en vain.

Une majorité progressiste qui s’ignore
En réalité, entre deux minorités conservatrices dotées néanmoins d’une réelle base sociale (l’une nationaliste(3), l’autre islamiste), il existe en Algérie une majorité patriote et progressiste qui s’ignore, qui rêve de ce changement “à l’algérienne”.
Cette majorité, il faut la nourrir en idées, la faire vivre, l’incarner, la mettre en mouvement pour “contaminer” les forces politiques et les décideurs quels qu’ils soient, et rendre le changement incontournable. De ce point de vue, des initiatives comme celle de Nabni — collectif de citoyens qui propose et diffuse des solutions utiles à l’avenir du pays(4) — sont pertinentes.
Les acteurs de ces initiatives ne se demandent pas ce que l’Algérie peut faire pour eux, mais ce que, eux, peuvent faire pour l’Algérie… Ils ne veulent pas s’épuiser dans la recherche de coupables ou d’hommes providentiels, mais concentrer leurs énergies pour trouver des solutions aux grands défis du pays, en exploitant mieux ses atouts exceptionnels. L’Algérie a en effet tout pour devenir un grand pays émergent, un “Brésil méditerranéen” qui pèse sur la scène internationale.
Depuis l’Indépendance, des progrès ont bien sûr été accomplis. Mais beaucoup reste à faire. Les nouvelles générations, formées, motivées, nourries de l’expérience du passé et d’autres pays émergents, sont désormais prêtes à prendre le relais et porter haut et fort le développement de l‘Algérie, dans une transition apaisée et constructive. Scénario rêvé ? Peut-être. Mais il n’y a pas vraiment d’autres chemins possibles, les autres voies mèneront inéluctablement à l’impasse ou au chaos. Et puis, après tout, quand le pire est déjà là, que perd-on à espérer le meilleur ?


T. G.

*Auteur d’Un rêve algérien, Chronique d’un changement attendu, éditions de l’Aube (paru en mai 2012).

(1) Par exemple, près de 200 chercheurs Algériens vivant à l’étranger sont revenus en 2011” (Source : ministère de l’Enseignement supérieur).
(2) Voir L’Algérie, un “Eldorado” pour les jeunes émigrés ! Dziri, mai 2012 (n°36).
C’est une erreur, une défaite idéologique que d’avoir abandonné l’islam aux intégristes qui ont dénaturé sa vocation première. Les réformistes doivent se réapproprier et promouvoir collectivement un islam progressiste — patrimoine commun de tous les Algériens, y compris laïcs — ce qu’il est profondément et ne devrait jamais cesser d’être.
(3) Au sens de l’écrivain français Romain Gary : “Le patriotisme c’est l’amour des siens, le nationalisme, c’est la haine des autres”.

(4) Après un premier rapport “Nabni 2012” (100 mesures concrètes de court terme) l’année dernière, l’initiative citoyenne Nabni prépare la publication complémentaire pour fin 2012 du “Rapport du cinquantenaire de l’indépendance : bilan et vision pour l’Algérie de 2020”, voir  www.nabni.org.

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